Un quart de siècle avec Jean Boissonnat
Jean Boissonnat, un journaliste d’exception, est mort la semaine dernière à 87 ans. Ensemble, nous avions lancé L’Expansion en 1967 et l’avons mené à bien, en duo jusqu’en 1994. J’avais pour lui estime et affection. Pédagogue naturel, il a formé une génération de journalistes économiques. Il incarnait l’intégrité, personnelle et professionnelle. J’ai rappelé en une page le début de notre aventure.
AVEC JEAN BOISSONNAT, UN COMPAGNONNAGE DE 28 ANS
En 1966 j’avais formé le projet de lancer un magazine pour les cadres, la catégorie montante des trente glorieuses, il me fallait d’abord trouver un rédacteur en chef. Mais à l’époque, les journalistes économiques se comptaient sur les doigts de la main. On me signale un certain Boissonnat, depuis 13 ans à La Croix, un journal identifié à l’église catholique.
Dans nos premières rencontres nous étions un peu méfiants. Je craignais son milieu conformiste et lui me trouvait un peu trop « Américain », d’autant plus qu’il était germaniste et ne lisait pas l’anglais. Mais ce qu’il écrivait sur l’économie était limpide et après le succès de L’Express en magazine, je commençais à avoir une idée du métier de patron de presse. J’avais 29 ans, il en avait 36, notre relation d’un quart de siècle débutait.
Nous avons sorti le numéro 1 de L’Expansion en octobre avec en couverture une assez mauvaise photo de Marcel Dassault (75 ans) bordé de gris foncé. Presque un faire part. Mais nous avions d’emblée 80.000 abonnés et plus de cent pages de publicité. Un lancement sans suspense.
Jean et moi avons formé un couple professionnel sans nuages. Nous avons connu des différends, mais pas la moindre fâcherie. Chacun était dans son rôle et respectait le travail de l’autre. J’avais plaisir à le retrouver quotidiennement pour parler des sommaires, des développements, des équipes, de l’actualité.
Je ne jouais pas les rédacteurs en chef, il n’empiétait pas sur le territoire du directeur. Mais nous ne faisions rien d’important sans prendre l’avis de l’autre.
Nous étions plus compagnons qu’amis. Nous n’allions pas au bistrot ou au cinéma ensemble. Encore moins de sport, il montait à peine à vélo. Est-ce pour cela que je garde une brassée de souvenirs d’une entente idéale, fondée sur l’estime et la confiance réciproque ?
Jean représentait à mes yeux la droiture, la compréhension de l’autre tout autant que l’exigence pour lui-même et ceux qui travaillaient avec lui. Il sera toujours pour moi une référence en éthique et en clarté d’esprit. Après 28 ans d’intimité distante, chacun est parti vers de nouvelles étapes de vie.
C’était quelqu’un de bien.
JLSS